Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Marité de Vos K
30 juin 2010

Lourds

A la grande braderie il y avait deux personnages en mannequins, nus, seuls, posés sur un socle en aluminium, lourds, lourds.

Il m'a semblé que je devais les animer, leur donner une histoire.


Mais en les portant, lourds, lourds, j'ai su qu'ils en avaient déjà une.


Des années dans cette vitrine, dans ce magasin qui disparaît, déposant son bilan. Les regards se sont échangés entre les passants passant et les miens, qui n'ont pas de tête.

Axolotl.

Leur corps entier porte leurs cerveaux, leurs sens et leur vision du monde.

Voilà ce qui les rend lourds, lourds.

J'ai les bras affaiblis et le cœur ému.

 
Je ne sais pas d'où ils viennent, je ne sais pas qui ils sont.
Ceux-là m'ont choisie avant que je ne les invente.

Je les ai installés dans l'Appartement et j'attendrai.
Jusqu'à ce qu'ils viennent à leur tour dire ici leur nom.

Est-ce que ce jour est celui de la naissance de nouvelles vies ?


Publicité
29 juin 2010

Trésor international

A peine ai-je franchi le seuil du bureau que Rachel m'interpelle.
Elle m'attendait depuis un moment,

- Non, non, pas spécialement vous, quelqu'un, c'est tout, juste quelqu'un pour partager ma découverte ! C'est un truc, mais un truc  inouï, je n'en reviens pas, quelle trouvaille, c'est la première fois, j'en rêvais bien sûr, tout le monde en rêve mais je l'ai trouvé, je l'ai, je l'ai !!!

- Quoi ? Tu as quoi ?

Elle s'agite, elle respire fort, elle sourit, elle arpente la pièce, passe par la cuisine et revient par l'autre porte du bureau, car l'Appartement est très circulatoire. Il a des couloirs, des portes, des accès surprenants, il faut que j'en dresse le plan, je suis sûre d'y trouver des signes que je ne vois pas, des passages ouvrant sur des lieux mystérieux.

Bref, Rachel arpente.

 - Voilà !

Elle brandit un livret mal agrafé, imprimé noir sur blanc, format  petit carnet ou bien mode d'emploi thaïlando-javanais.

- Et alors ? Un nouveau mode d'emploi à traduire, c'est la routine.

- Pas celui-là. Celui-là m'est parvenu par des Voies Obscures.

- Forcément, tu résides dans le manuscrit qui porte ce nom, Par des Voies Obscures, c'est chez toi.

- Oui mais non, c'est encore plus Obscur. Je me suis réveillée ce matin avec, dans la tête, une voix qui me disait, lève-toi, ouvre le livre  qui est en haut de l'armoire. J'ai trouvé la Merveille des merveilles !

- Mais enfin, qu'est-ce que c'est?

Elle me montre solennellement un petit livret imprimé de hiéroglyphes, de runes, de signes dont je ne parviens même pas à imaginer l'origine.

- Je n'y comprends rien.

 - C'est ça ! On n'y comprend rien ! C'est un talisman, Le Mode d'Emploi des Modes d'Emplois: Le MEME. Perfection de l'impénétrable.

Et je comprends enfin ce qui l'excite tant. Elle, dont la spécialité est de décoder tous les langages connus pour en faire des textes banalement pratiques, a enfin trouvé son maître, l'Intraduisible.

- L'Illisible, dit-elle, pas l'intraduisible. Dès que je serai parvenue à le lire, je le traduirai! C'est un Trésor... Mais un Trésor...  Sidéral. C'est ça, il vient peut-être des étoiles!

Je suis blette, blasée et désenchantée, je n'y crois pas une seconde.

Je pense, sans le lui dire, je ne veux pas doucher son enthousiasme, que de l'illisible il y en a des quantités en vente libre sur le Net.


28 juin 2010

Géant de jardins

Ah ben ouiche tu parles tu parles que les géants y en a pas dans les jardins que c'est des jardins de lotissement et que les jardins sont petits et que les nains sont petits aussi mais que les géants sont grands et que tu parles qu'on va pas y mettre des géants dans les petits jardins que pourtant ça serait pas mal avec des radis dans une poche des laitues dans l'autre et en cravate des chèvrefeuilles que ça aurait une autre gueule que du petit nain moi je dis et y en a marre des petits et qu'i faudrait les protéger comme si les grands on pouvait tout leur faire et que les petits y seraient tous gentils et pis quoi encore y en a marre hein moi j'en ai marre voilà de m'occuper des mômes tout le temps je préfèrerais les grands qu'i' s'occupent d'eux un peu plus quand même ah mince alors les petits j'en ai par dessus la tête.

Et bien, me demandé-je en ouvrant l'Appartement ce matin, qui est cette personne? Quelqu'un que je connais?
Elle vient de Batbourg d'après la catégorie qu'elle a sélectionnée, mais qui peut-ce être ?
Ah, elle s'occupe des petits, c'est Suzanne Troudy.

- Faut dire son nom maintenant quand on vient causer ici et pis quoi encore !? Mince alors!

- Non, non, Suzanne, je vous en prie, vous êtes chez vous. Je ne m'attendais pas de vous à cette diatribe anti nains, vous les aimez, je crois.

- Pas si tant que la Myrtille Souche.

- Certes, mais votre jardin en abrite quelques-uns.

- Justement, j'ai planté des graines de courge y a deux mois et voilà pas que c'est des courges naines qui sortent ? Et pareils pour mes hortensias que même les glaïeuls y sont nains !
Tout est nain ! Qu'est-ce qui se passe avec les graines ?  Je veux des géants à présent, marre du p'tit.

Suzanne Troudy est grande et opulente, sous ses blouses informes, ses avantages foisonnent.

Dans son jardin miniaturisé, elle est de trop.

- Les nains n'y peuvent rien.

- Y a pas d'fumée sans eux, si les plants sont nains c'est qu'les graines sont naines et si elles sont naines c'est qu'i'sont dev'nus contagieux pis c'est tout.


27 juin 2010

Le respect

- Tu l'aimes mon château?

- Oui je l'aime.

- Et son grand parc tu l'aimes?

- Oui, aussi.

- Et mon cimetière tu l'aimes?

- Oui, je l'aime.

- Et mon Église, comment tu la trouves?

- Très belle.

- Et ma rue principale, elle te plait?

- Elle me plait beaucoup oui.

- Et ma librairie? Ma boulangerie? Et ma mairie?

- Oui, oui, elles me plaisent beaucoup aussi.

- Et mes ciels, et mes vents, comment tu les trouves? Et ma neige? Et mes soleils? Et mes champs? Mes chiens, et mes poules qui courent? Comment tu les trouves, hein?

- Très bien, j'aime tout ça aussi.

- ALORS POURQUOI TU L'DIS PAS !!!

Batbourg demande le respect.

Il est vrai que tel que je l'ai écrit et décrit, j'ai pu donner l'impression que c'était un village médiocre, sans charme et nanti d'habitants essentiellement dépourvus de sens critique, résignés et indifférents les uns aux autres.

Alors que Batbourg en tant que village mérite amour et respect.

Alors que chacun de ses résidents mérite amour et respect.

Oui, Batbourg est un village comme tous les villages, avec ses beautés,  ses défauts, ses réussites et ses verrues avec du poil dessus.

Alors pourquoi l'ensemble qu'ils forment produit-il une autre image?

D'où vient le vide qui les abreuve?

D'où vient que l'ensemble ne remplit pas les promesses des individualités?

C'est dans l'eau? C'est dans l'air?

Je ne sais pas répondre à ces questions, tout juste ai-je su voir et écrire.
Ce n'est pas sans intérêt, car, comme le disait Antigone, on fait ce qu'on peut.

Elle ne l'a pas dit exactement comme ça parce qu'Antigone est psychorigide et intégriste, déiste. Elle est du genre à kamikazer pour prouver qu'elle a raison et elle dit (par le truchement d'Anouilh):

- Il faut faire ce que l'on peut.

26 juin 2010

Plus tard

En plein midi radieux, dans le soleil d'été, quelqu'un vient dans l'Appartement pour se dire, qui apporte avec lui un vent froid étreignant tous ses habitants, mais qui s'échappe vite par nos ouvertures géographiques.

- C'est vous? Jacques Laprune?

Je ne suis pas sûre que ce soit lui, je ne le vois pas, puis je l'entends, c'est bien lui: Jacques Laprune, maire de Batbourg.

Je croyais que je ne sentirais plus rien, je croyais qu'après c'était terminé, qu'il n'y aurait pas de "plus tard".

Pourtant je sens le vent, il me rafraîchit, je sens l'odeur froide de l'eau des arroseurs automatiques qui se mettent en marche, dans les jardins de Batbourg, avec  le jour qui se lève.

Je sens l'odeur du soleil, je n'avais jamais senti ça.

Voilà qu'il m'est venu un après qui m'apporte ces secrets-là.

Les odeurs que je ne percevais pas, je les sens, les sons que je n'entendais pas, je les entends, et dans ma tête en direct, des sensations étrangères me parviennent.

Les fleurs de Michel Misère ont pour lui des couleurs nouvelles, je vois comme il voit jusqu'à leurs  fines racines dans la terre, chaque gouttelette d'humidité qui forme les nuages de son ciel définitif, à travers sa serre je la vois comme lui.

Je sens ce que sens Fabiola, loin, loin, je pense les pensées du Léon.

Oh! Je sens tant de choses et tant et tant, malgré que mon cerveau pourrisse,  parce que je suis mort et que la décomposition me mange à toute vitesse.

Et cette chose qui me possède me dit:


Tu vas t'emputréfier, tes fluides pestilentiels

s'écoulant lentement nageront dans les flots

vibrants jaillissant des autres morts.

Tu disparaîtras de l'esprit et du cœur des

hommes et jamais, jamais tu ne perdras

la conscience d'être.


- Ah, gémit ce qui subsiste de ce Jacques, c'est donc ça l'Enfer?


Publicité
25 juin 2010

Yquem

Louka se fiche bien de trouver le chemin de la rue Saint Malo, elle dit

- Je ne fais pas partie de ton nuage de touristes frustrés.

- C'est parce que, en enquêteuse hors pair, tu sais lire une carte.

- Y'a de ça, me répond-elle, goguenarde, et là, je me doute de quelque chose.

Louka est une ironique, une tranchante, une à l'humour approximatif, mais Louka n'est pas une goguenarde.

- D'où viens-tu Louka?

- Je viens deu Bohê êmeu, répond-elle en chantant,

- D'où viens-tu Louka? (c'est pour lui donner l'occasion de chanter la suite)

- Je viens d'Italie!...

Bref, elle vient du pré de l'école où avec Chauze elle a vidé une bouteille de Château-Yquem.

- Et ça explique aussi, dit-elle, que je me fiche de savoir où aller et comment, j'ai la potion magique.

- Ah oui, tu connais le secret de la téléportation?

- Farpaitement.

En fait, c'est une idée que Chauze a développée (précision utile: il le fit après l'épisode Yquem).

Si cette idée est liée au fait qu'il est médecin légiste, je ne le sais pas.

- L'erreur de base qui empêcherait la libre circulation instantanée des humains dans le temps et l'espace est la référence à la vitesse de la lumière.
Alors que l'humain n'a que foutre de la lumière. Quand il est aveugle, quand il dort, quand il ferme les yeux, quand  la lumière s'éteint.
Lumière, pas lumière, ça le laisse perpendiculaire au sol, ou horizontal s'il est couché, voire entre les deux quand il est assis.
Or, enchaîne-t-il, or, renchaîne-t-il, qu'est-ce qui est propre à l'homme?

- Ah! Ah! Ah! émet Louka.

- Que non point, que ne pas, dirait Bashung, répond Chauze, point le rire, oh que pas le rire du tout,  le propre de l'homme c'est la pensée!

Or donc, si nous prenons comme référence la vitesse de la pensée, et je précise, de  la pensée et non de la connexion électrique des synapses, la pensée immatérielle, multiple, plurielle et, pour certains, incommensurablement véloce et sur plusieurs thèmes en même temps, si, donc or et subséquemment, nous additionnons derechef la vitesse des pensées instantanément activées, nous voyons clairement, même dans le noir, que ça va tellement plus vite  que cette tortue de lumière que rien n'empêche l'homme de voler du même pas.

- Voilà pourquoi, dit Louka, une bouteille de Château Yquem ouvre les voies de la téléportation bien mieux que n'importe quoi d'autre.

- Mais le rêve... dit Chauze en s'endormant sous le cerisier, son verre vide à la main dans l'odeur magnifique du divin vin.

Or, mon cher Chauze, lui réponds-je même s'il ne m'entend plus, le rêve est  pensée...


24 juin 2010

Téléportation ?

- On veut partir en vacances.

- Oui, on veut aller se balader.

- Oui, on veut aller ailleurs que dans l'Appartement.

Ils sont aujourd'hui une masse indistincte, un nuage qui parle, je ne reconnais personne, leurs voix se mêlent et leur personnalités avec.

- Vous avez vos manuscrits.

- Non, les vacances, c'est changer d'endroit.

- Oui, on veut changer d'air.

- On veut aller rue Saint Malo.

- Vous connaissez la rue Saint Malo?

- Euh c'te blague! Bien sûr qu'on connaît la rue  Saint Malo.

- Vous en parlez tout le temps dans votre Journal, forcément on connait la rue Saint Malo!

- Ah! La rue Saint Malo, sa Bernique Hurlante, son Phœnicien, sa Jacline, sa Trinquette, son Comte Dracula, son Assiette Créole, son ex Moule Rieuse et tout ça et tout ça.

- Parce que vous lisez mon Journal, c'est incroyable!

- Je ne vois pas ce qu'il y a d'incroyable, dit une voix que je ne reconnais décidément pas.

- Mais c'est privé, enfin, un journal, c'est intime, quoi, on n'y va pas, c'est privé, privé, voilà!

- Parce que vous ne vous baladez pas dans nos têtes peut-être?

-
Ça n'a rien à voir! Je vous ai inventés, je ne vous prends rien puisque je vous ai tout donné!

- Bravo, à ce compte-là les parents auraient droit de vie, de mort et de journal intime sur leurs enfants!

- Pas du tout. Vous n'êtes pas mes enfants, vous êtes des personnages autonomes.

- Faudrait savoir, quand ça vous arrange vous avez tout inventé et quand ça ne vous arrange plus on est autonomes.

J'ai compris que je ne m'en sortirais pas.

- Vous voulez partir en vacances?

- Oui, répondit leur chœur.

- Eh bien, allez-y !

- On ne connait pas le chemin.

- Rue Saint Malo, ça ne vous suffit pas comme adresse.

- Comment sortir d'ici, par quelle porte on passe?

- Comment ça par quelle porte?

- Ben oui, on connait le chemin de nos manuscrits à l'Appartement, on connait le chemin de chez nous à votre Journal mais pour aller Dehors, Dehors vraiment, on ne sait pas.

- Ah voilà! Mais je ne sais pas où est ce chemin-là. Je ne sais pas plus comment vous avez trouvé le chemin de l'Appartement, je vous y ai trouvé un jour mais je ne vous l'ai jamais indiqué. Il faut vous débrouiller.

- Allez, quoi, un petit coup de main.

- Je ne suis pas sûre d'y pouvoir quoi que ce soit, même si  ça passe par ma tête,
je vais réfléchir.

Si j'ai cru d'abord être l'organisatrice et la maîtresse de leurs mouvements, j'ai dû accepter la réalité, je n'y suis pour rien.

Il  semble que jusqu'à présent, ils soient venus... par... capillarité? En fusant d'une fibre à une autre, ou... par association d'une idée à l'autre? ou par quel moyen?


23 juin 2010

Fass foude

Marité

Hannah, Féla, Rachel Z., et Jeannette  sont dans la cuisine de l'Appartement.

- Qu'est-ce que c'eï lé fass foude? dit Hannah, ma grand-mère personnelle qui ne se souvient pas des Wimpy et autres Macdo qui ont poussé dans Paris quand elle vivait encore.

- Des Macdou, voilà ce que c'eï dit Jeannette en se moquant de l'accent de sa mère.

- Né té mok pas dé ta mèïre, gronde Féla.

- Woï, woï, woï, concluent-elles d'une seule voix, lé fass foude, c'est pas kasher.

- Il y en a de casher, dit Rachel, il y a des orthodoxes qui mangent des hamburgers, même à la maison leur femme en fait.

- A la maison ? Dans la kvisine ?!!

Elles sont outrées.

Oh bien sûr, le rabbin dit c'est kasher parce que la cacherout est respectée mais on ne peut pas nourrir sa famille comme ça !

- Mais où sont-elles leurs familles, se demande Rachel Zukolowsky, où est une famille qui ne se réchauffe plus au même feu, qui ne mange plus à la même table ?

Et si elles avaient raison les grands-mères? pense-t-elle, si c'était ça qui nous nouait ensemble, manger cette cuisine-là, du bouillon avec des kneidelers, ces gâteaux-là, ces plaisirs-là ?
Si ça n'était que ça la famille, des estomacs pleins de la même nourriture?


Rachel est seule devant le mode d'emploi en français de Chine d'une urne funéraire pour poisson rouge.
Elle se demande par où passe l'amour, où sont les morts qui n'ont pas d'urne.

Moi je crois qu'il aurait fallu les manger, au moins. Absorber leurs corps, les digérer avec nos corps, les prendre en nous pour les garder toujours.
Je suis une sauvage, ceux de ma tribu sont les miens et je suis à eux.

Mais aujourd'hui Rachel et moi, nous sommes orphelines jusqu'à nous mêmes.


22 juin 2010

Etre et avoir l'été

Louka vient de relever une coïncidence remarquable, à Batbourg, en pleine enquête sur une série de crimes, elle est fin juin elle aussi.

Mais quand ici l'été frileux tiédit lentement, là-bas c'est l'été trop chaud, accablé par un orage qui n'éclate pas.

Marianne, Sylvie et Béatrice le disent aussi, et Dolstein si elle ne se fichait pas du temps qu'il fait  le confirmerait, tout Batbourg s'amollit sous la chaleur du climat que je lui ai donné.

Si ce n'était pas l'été, pense Louka, je ne serais pas avec Chauze dans le pré de l'école à faire l'inventaire des morts en buvant les étoiles.

Si ce n'était pas l'été, elle transpirerait moins à porter leurs cadavres, couturés par l'autopsie, dans sa barque trop lourde, pour leur faire traverser les causes de leur assassinat.

Si ce n'était pas l'été s'agacent ces dames de l'ABB, on ne serait pas en sueur dans l'Église à frottis-frotter les statues de bois en s'énervant les unes les autres.

Dolstein et Dieu notent, placides, elle des conclusions sur été et excitation nerveuse et lui sur des déodorants spécifiques.

Les gens de l'Appartement sont chauds et ils ont chaud.

Jusqu'à récemment j'en concluais que c'était à cause du climat, depuis quelques mois je sais qu'il n'en est rien.
Ils avaient chaud parce qu'ils étaient confinés entre les pages.

L'encre ombrait leurs aisselles, moitait leurs nuques raides ou alanguies, le creux de leurs reins cambrés ou enrobés de graisse, la saignée de leurs bras dodus ou trop maigres, le creux poplité de genoux cagneux, ronds, doux, osseux, l'encre encore collait aux crânes les cheveux humides.

Encre affadie, encre transparente, l'encre de leurs veines.

Fini tout ça aujourd'hui, ils suent leur eau, ils suent leurs peurs et rêvent leurs propres désirs.

Ils ont quitté leurs barreaux de mots, leur prison de papier, ils viennent ici porter leur être.

En été, ils puent désormais comme tout le monde.

Que non pense Robert Dieu, grâce au Déo de Roro, ils ne pueront plus, Batbourg embaumera sous tous les climats.

(Dolstein, définitive orpheline, respire le souvenir des odeurs de ses vivants perdus, l'odeur de la vie disparue.)

Dieu pense un atomiseur, pour ceux qui vivent seuls, et ce sont des femmes en majorité, acheteuses de cosmétiques en tout genre.

Transmen va leur vendre de l'homme en brumisateur.

Des compagnons de fumée, ajoute Fabienne Berman, enfermés dans des bougies...

Ragazzi ne dit rien, il aligne des chiffres sans odeur et Berman conclut:

- Une lampe d'Aladin qui sentira l'Homme si on la frotte bien.


21 juin 2010

Comment fait-on les enfants ?

Marité

- T'as pas d'enfant?

- Pardon?


- T'as pas d'enfant? répète en criant la petite personne qui m'attend ce matin dans l'Appartement.


- J'ai entendu! Mon pardon ne demande pas répétition mais explication.


- Pourquoi tu me demandes si je n'ai pas d'enfant?


- Y en a jamais dans l'Appartement.


- Ah oui, je ne pensais pas à ça, il n'y  a pas d'enfant ici.


- T'en as pas?


- Je ne vois pas le rapport, que j'en aie ou pas, qu'est-ce que ça fait?


- Si tu en avais, il y en aurait ici.


- Justement, c'est parce que j'en ai que je ne les jette pas dans n'importe quelle histoire.


- C'est même pas vrai.


- Bon. Écoute, machin, comment tu t'appelles?


- Kévin.


Je soupire, j'aurais préféré un prénom que personne ne porte, mais je me souviens à l'instant qu'il ne tient qu'à moi que son prénom me convienne, je reprends:


- Comment tu t'appelles?


- Mino.


- Eh bien Mino, je ne vais pas te dessiner un mouton, je ne vais pas t'apprendre la vie ni te faire un tour de magie ni te donner des bonbons. Rien de rien. Je ne touche pas aux enfants.


La Marianne de Batbourg a deux enfants, un garçon et une fille, mais je les ai gardés de toute action dans le roman, je veux qu'ils soient libres d'eux-mêmes.

- Tu veux pas t'embêter avec?

Au moment de lui répondre non! c'est pas ça! Je me demande si Milo n'a pas raison.
Il n'y a pas d'enfant dans mes manuscrits, je fais pousser les êtres adultes, ils naissent finis, matures et coincés dans leur corps et leurs vies.
C'est moi qui décide.

Dieu lui-même n'a pas fait mieux, il a créé Adam et Eve mais n'a pas su faire de bébés. Il a besoin des hommes et des femmes pour ça.

Même pour Sarah il a fallu passer par la procréation par les voies naturelles, elle était très vieille, Abraham avait quatre-vingt dix neuf ans. Tant qu'à faire un miracle il aurait pu le leur offrir frais pondu, mais non.

Lui non plus ne sait pas produire l'origine.

Frankenstein, Dracula, Golem, androïdes, oui, bébés, non.

- Mino, je vais te répondre: Qui suis-je pour faire mieux que Dieu?

- Tu crois en Dieu?

Pfff! Voilà pourquoi il n'y a pas d'enfants dans mes histoires, ils posent tout le temps des questions pour eux.


Publicité
1 2 3 4 > >>
Marité de Vos K
  • Ce blog reçoit les GENS DE L'APPARTEMENT, qui arrivent tout droit des manuscrits où ils sont nés. Les textes d'où ils viennent seront mis en ligne dès que les aspects techniques de leur diffusion seront réglés.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité