Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Marité de Vos K
17 novembre 2010

Lizzie

Alors il y a cette Lizzie, Lizzie Je-ne-sais-qui, à qui j'ai promis ce quelque chose, enfin, alors, euh...

- Alors quoi ? Alors quoi ? Dites-le, mince alors, pourquoi je saurais pas, hein ? Pourquoi je saurais pas qui je suis ?

- Je préfèrerais laisser venir ça tranquillement, je préfèrerais ne pas dire n'importe quoi, c'est à dire que je préfèrerais ne pas m'en remettre à la vérité, je préfèrerais inventer.

- Mais je m'en fiche moi, de ce que vous préférez ou pas, je veux savoir, tout, tout de suite !

- Oh alors, tant pis, ce sera la vérité.

Lizzie s'est assise, puis elle s'est levée, elle allait d'une pièce à l'autre, elle tournait en rond, puis elle s'est rassise, elle attendit la suite.

Elle était surexcitée et moi j'étais mal à l'aise.

J'aurais voulu avoir le temps de lui inventer une vie qui la satisfasse, dans laquelle elle se sente exister, du sur mesure, au lieu de quoi, pour cause d'urgence, je devais procéder sans distance, sans fards.

Bon, je me suis dis, c'est elle qui l'a voulu.

J'étais de mauvaise foi, Lizzie n'a rien voulu, elle ne peut rien vouloir, elle n'est qu'un personnage de papier.

Et ça me dérange que ça me dérange mais c'est comme ça, je peux la recevoir, je peux l'agréer mais la vie que je peux lui offrir ne vaut pas tripette pour ce qu'elle ne viendrait pas de mes tripes, ces tripes particulières, blotties dans la boîte crânienne, faites de tuyaux soudés, de circulations invisibles productrices d'étincelles aléatoires.

Lizzie donc, espérait, patiente à présent, touchante, elle attendait de naître.
Est-ce que je serais capable d'aller au delà de la vérité pour lui ouvrir les portes ?

- Premièrement, tu ne t'appelles pas Lizzie, ton vrai nom c'est...

- Elizabeth !

- Pas du tout. Tu t'es appelée Jacqueline Banault, tu vivais dans une cité d'urgence de la banlieue de Paris.

Tu voulais être comédienne mais là où tu vivais, les  filles ne devenaient pas comédiennes.

Il y a eu un garçon, puis un autre et plein d'autres, tu as eu beaucoup, beaucoup d'enfants.

Des filles exclusivement.

Parce qu'ils te jugeaient incapable (et le fait est que tu l'étais, incapable), les sevices  (il semblerait que le manque de r pour services soit un lapsus mais je me demande) sociaux te les enlevaient tout juste nées.

Elle me regardait toujours, des larmes coulaient doucement sur son visage lisse, elle avait les yeux vides, elle n'avait plus qu'une seule dimension, plate.

J'ai pensé elle est en train de fondre, elle va redevenir la fille de papier.

Est-ce que je pouvais dire sa vérité à mademoiselle pâte à papier ?

Tu n'existes pas, tu es une ébauche, tout juste assez formée pour figurer dans des romans médiocres et servir de pantin à des auteurs en mal de personnage?

Est-ce que j'en étais si sûre ?

Avec le doute enfin jaillit la lumière et je vis et je sus qui elle était, vraiment.

- Mademoiselle, je lui ai dit, arrête de te morfondre et écoute-moi bien, maintenant, je vais te dire la vérité. Voilà ce qui s'est passé: Jacqueline a disparu, elle était trop malheureuse, mais son rêve n'a pas disparu, lui.
Tu es ce rêve, cette Lizzie qu'elle rêvait d'être, c'est toi, mais...

- Quoi, mais quoi ?!

- Mais tu es une parmi les autres. Toutes les filles de Jacqueline sont un éclat. Tu dois les retrouver toutes, et alors seulement, vous formerez ensemble le rêve complet et tu-vous deviendrez une, complète, une grande comédienne et d'abord, une femme, une vraie.

- Vous m'aiderez ?

Et oui, j'allais l'aider, la clarté jaillissante de sa réalité m'avait prise par surprise, je l'avais adoptée, elle avait ranimée en moi cette Jacqueline malheureuse.

Pfff. Je n'avais pas besoin d'être une autre encore.

- Je vais te dire ton nom secret, il est ta certitude et ton vaisseau insubmersible: tu t'appelles Jeanne.

Elle a repris couleurs et volume et s'est évaporée en rêvant vers sa quête, et moi, j'ai remisé ma baguette magique et mon costume de marraine fée, et j'ai pensé à cette Jacqueline B. des Emouleuses, qui voulait être comédienne.

 

Publicité
Commentaires
Marité de Vos K
  • Ce blog reçoit les GENS DE L'APPARTEMENT, qui arrivent tout droit des manuscrits où ils sont nés. Les textes d'où ils viennent seront mis en ligne dès que les aspects techniques de leur diffusion seront réglés.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité