Je n'ai pas le Temps
- Le temps... dit Dracula sur un ton alangui.
A demi allongé sur un divan bas, dans le salon atelier de l'Appartement, il joue vaguement avec un des Issus que je lui enlève, ce ne sont pas des jouets.
Dracula me déçoit.
- La neige en hiver, c'est normal.
Il a l'air tellement fatigué. S'il n'était pas si beau, ses yeux noirs étincelants, ses lèvres pulpeuses, le nez droit, le front clair et ce teint lumineux, jamais blafard malgré qu'il soit mort depuis, depuis... S'il n'était pas si beau il ferait peine à voir.
Je me demande à quoi il a passé sa nuit, je m'inquiète.
- Et Braise ?
- Braise dort.
Il dit ça avec un sourire stupide qui me rassure. Le sourire fat, le voici. Pour la première fois j'utilise ce mot désuet, mais c'est bien un sourire fat qui enlaidit le bien joli Dracula.
Bon, ils vont bien ces deux-là, ce n'est pas une raison pour lancer des conversations stupides sur le temps qu'il fait.
- Je ne parlais pas de ce temps-là dit Dracula.
J'oublie toujours qu'ils peuvent entendre mes pensées, ça amuse monsieur qui précise,
- Le Temps. Ce soit-disant Temps de la soit-disant Éternité, Saturne, Chronos, la Faucheuse et toute cette mythologie de bazar, mais tout de même le Temps ?
Ah, ce Temps ! C'est moi l'idiote pour le coup.
- Je ne crois pas à son existence, ce n'est qu'une invention contingente. Pour des raisons commerciales, il fallait bien arriver à faire marcher le monde au pas cadencé. Alors, ils ont inventé le Temps, qui passe, pour tout le monde à la même heure. Le Temps qui encadre la vie, il fallait maîtriser ça aussi, un début, une fin, et personne n'est responsable de rien, de la naissance à la mort, c'est le Temps qui impose sa Loi.
Tu parles! Le Temps n'est rien.
Dracula sourit, toute fatigue effacée, je sais ce qu'il pense moi aussi.
Il est la preuve que le Temps n'existe pas. Ce qui existe c'est le sang, c'est Braise, et la vitalité de leur désir poignant et leur amour comme un oiseau palpitant.
Je n'ai pas le Temps, le Temps ne m'a pas