- C'est dégueulasse ! C'est trop dégueulasse !
- Mais qu'est-ce qu'elle dit celle-ci ? demande Marianne, dérangée dans son repassage par les hurlements de Corinne, entre deux eaux, enfin, entre deux verres.
- Elle dit que la vie est injuste répond Melle de Lhéry à la cantonnade.
Denise de Lhéry n'est pas dans le salon devant la télévision avec Marianne Defair à son repassage. Mais, dans la réalité augmentée, comme disent les scientifiques, Les Gens de l'Appartement entendent tout et savent tout ce que dit chacun, où qu'il soit, quoi qu'il fasse.
- Big Brother is watching you, dit Fabienne Berman machinalement en baissant le son, les cris de Corinne lui ont vrillé les tympans.
Le Grand Frère de Fabienne Berman watchant le monde.
- Mais c'est une femme ! dit Fabienne excédée.
- C'est donc son frère, assène Jean de La Fontaine. A quoi Fabienne répond pff et s'évapore.
- C'est dégueulasse ! Salauds de mecs !
- Ta gueule Corinne, tu vas faire avorter mes poules lui dit Myrtille. Pourquoi que t'hurles?
- J'ai raté Mitterrand, OK, mais DSK, merde ! Ils couchent avec tout le monde sauf avec moi ! Merde, c'est dégueulasse ! Pourquoi pas moi, hein ! Pourquoi pas moi!!
- Pauvre cruche, lance Fabienne de loin, c'est parce que vous n'existez pas, n'allez pas chercher de raisons, vous n'existez pas, c'est tout.
- Quoi, quoi, quoi ! Parce que je vis dans un lotissement, parce que j'ai quarante ans, parce que je n'ai pas la carte du club, c'est ça ? Je n'existe pas ?!
- Mais non, vous n'existez pas, vous n'êtes qu'un personnage de fiction, comme nous tous.
- "Est-ce que les personnages de fiction n’ont pas des yeux ? dit Dracula, magnifique. Derrière lui Braise flamboie, Corinne s'est redressée, encore chancelante, et Myrtille, Troudy, Astrid, Louka, Léon et bientôt tous ceux de l'Appartement, les ont rejoint, sauf moi bien sûr, parce que moi, je suis dans la vraie vie, ah! ah!
- Est-ce que nous n'avons pas, comme les vivants des mains, des organes, des dimensions, des sens, des affections, des passions ? Ne sommes-nous pas nourris de la même nourriture, blessés par les mêmes armes, sujets aux mêmes maladies, guéris par les mêmes remèdes, réchauffés et glacés par le même été et le même hiver ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? Et si vous nous faites du mal, ne nous vengerons-nous pas ? Si nous sommes semblables à vous en tout le reste, nous vous ressemblerons aussi en cela. »
- Fiction mon oeil, on existe ! dit Fabiola qui n'a pas l'audace de citer correctement Queneau, alors Zazie dit: Fiction mon cul !
- Shakespeare, c'est encore de la fiction, dit Dolstein. Elle observe avec un grand intérêt ce qui se passe dans ce Blog. Depuis que La Taulière s'est retirée l'Appartement crépite.
- J'irais plus loin, dit Übernix, j'ai la vision insistante d'une mèche longue en train de brûler.
- Et vous ne voyez pas la bombe ? demande Louka, il faudrait songer à s'en occuper.
- Pourquoi ? je demande. Pour l'empêcher d'exploser ou pour se mettre à l'abri ?