Des ménages
- 35 mètres cube, dit le type.
- Bon, répond-elle, j'attends le devis.
Il est parti, elle est restée.
Cette étape est habituellement ellipsée, que le type s'en aille on le sait, il est venu faire un devis, il va en faire un autre ailleurs. Que la cliente reste chez elle, on le sait aussi. Même quand on la retrouve quelques minutes plus tard dans la rue, on sait qu'elle est d'abord restée chez elle, elle a mis son manteau par exemple, elle a fermé la fenêtre de la chambre en pensant c'est assez aéré, elle est sortie, elle a descendu l'escalier et la voilà dans la rue.
Le type a descendu l'escalier, il a fumé une cigarette dehors et il est remonté dans son deux tonnes, c'est le nom de sa voiture, déformation professionnelle.
L'ellipse, c'est supposer sans dire, mais quand on déménage, on ne suppose rien, on compte et on porte.
- 43 mètres cube, dit un autre.
- Bon, que je réponds interloquée, j'attends le devis.
- 49 mètres cube.
- J'attends le devis.
Je suis rassurée, je ne sais pas qui qui dit n'importe quoi mais du coup ça devient léger. Jusqu'à ce que je me demande si l'un d'eux n'aurait pas vu traces des Gens de l'Appartement, pesé leurs âmes aux aguets, additionné les ombres tapies dans les coins, dans les creux, les lignes effacées de leurs mains sur les murs courbes et, sur les plafonds hauts les reflets de leurs cerveaux luisant à travers les scalps.
J'ai fait le tour et je n'ai rien vu que d'invisible pour les yeux. Ouf.
Je regarde mes meubles avec amitié, vous êtes gonflés les gars.