Basile M. Toquard, héros d'un roman de Leila Marouane, La vie sexuelle d'un islamiste à Paris, quarante ans, cadre très supérieur dans une banque, habite chez sa mère et me contacte parce qu'il voudrait changer de vie.
-
Je n’ai pas besoin d’une vie imaginaire.
-
Tout le monde a besoin d’une vie imaginaire.
-
Oui, mais je veux que ce soit sorti de mon imaginaire, pas de celui
de quelqu’un d’autre.
-
Je
comprends ça.
-
Leila a été vraiment super, elle m’a offert l'existence, mais je
ne veux pas d’une carrière de personnage littéraire, je veux
vivre une vraie vie, la mienne de préférence.
-
Je vais voir ce que je peux faire.
J’ai
réfléchi au cas de Basile M. Il a raison, il faut le sortir de
l’imaginaire de la littérature sinon il ne parviendra jamais à
vivre sa propre vie, il sera toujours traversé par les perturbations
des lecteurs et des lectrices qui le placeront malgré lui dans des
situations qui leur appartiennent. Il est pour l’heure un sujet de
roman, il va passer au stade d’objet de fantasme en masse, le roman
de Leila marche très bien, il a avoir du mal à s’en échapper.
La
première indication est de le sortir de là mais ça ne peut pas se
faire en un clin d'œil, il y a quelques précautions à prendre.
- Basile, je vous propose de
commencer par un stade intermédiaire, que diriez-vous d’être un
ami de Louise Kowski ?
- Qui c’est ?
- L’héroïne de mon roman en
cours.
- Ah non alors ! Je viens
vous chercher pour sortir de là !
- Vous devez passer par des
paliers de décompression sous peine d’explosion. Dans ce livre,
vous ne seriez présent que par téléphone dans un rôle très
secondaire.
- Mais ça va durer longtemps ?
- Non, non, ce passage-là va
vous amener assez vite à vous-même. D’abord vous allez retrouver
votre vrai prénom (Basile s'appelle en réalité Mohamed), votre
existence sera banalisée.
- Ça a l’air bien comme ça,
mais...
- Suivez mon avis puisque vous
l’avez demandé! Vous allez voir que ça va se mettre en place
très vite.
- D’accord, Louise Kowski vous
dites ?
- C’est ça, ses proches l'appellent Louka, elle est
commissaire de police, elle mène une enquête un peu rude sur un
meurtrier en série.
- Elle est jolie, elle est libre, c'est quel genre ?
- Basile, gardez bien en tête
que vous cherchez à réintégrer la vraie vie.
- Bien sûr, mais la littérature,
quand vous êtes dedans, c’est dur d’en sortir.
- C’est pourquoi vous êtes
venu me chercher.
- OK. Je fais quoi alors ?
- De temps en temps,
vous donnez un coup de fil à Louise, vous lui parlez de vous. Le
reste viendra seul, vous verrez, la vie, c’est très naturel quand
on la laisse faire. Au fait, pourquoi moi?
- J’ai pensé que vous étiez
la bonne personne, vous avez des interférences que je partage, vous
êtes moi, une génération après.
- Pourquoi pas un homme ?
- J’ai besoin de tendresse, avec une femme, je peux
imaginer qu’on m’aime un peu.
C’est la première fois qu’un
personnage me fait une candidature spontanée. Je n’ai pas pu
résister.
Voilà comment Mohamed est entré dans l'Appartement.