Lapinochio et Monsieur Amigu
De retour de la jungle, ils ont changé d'avis, enfin pas sûrs de changer d'avis ils demandent un armistice à leur Fée Bleue: moi.
- Mes petits gars, que je leur envoie sans ultimatum, armistice n'est pas le mot qui convient, il n'y a pas de guerre entre nous, ni même d'hostilité il me semble, même pas un enjeu.
Lapinochio n'est pas de mon avis:
- Ah mais si, nous sommes en négociation active madame la Fée Bleue, active oui, pour obtenir un statut de citoyen, nous voulons devenir Gens de l'Appartement, de vraies personnes.
- Oui, Oui, Oui, ajoute monsieur Amigu, il a une petite voix grinçante, je n'apprécie pas quand il crie, Oui, Oui, Oui, et il continue.
- Comment? Comment? Monsieur Amigu, je ne perçois plus votre voix dans les aigus, sans doute une déficience de mon appareil auditif de personne.
J'avoue que j'ai un peu honte de profiter de ma situation d'humaine pour obtenir ce que je demande, mais il me fait très mal aux oreilles ce petit Amigu.
Il souffle oui, oui, oui.
- J'entends à présent que vous appuyez l'interprétation de Lapinochio?
- Oui, dit-il avec une drôle de voix de basse, où va-t-il la chercher? Je suis d'accord avec Lapino. Nous voulons devenir des personnes mais pas tout de suite, nous devons réfléchir aux conséquences.
- Bravo, vous êtes sur le bon chemin, vraiment, c'est sans ironie que je vous félicité, réfléchir aux conséquences, c'est presque sur humain.
Ils se tortillent tous les deux en baissant la tête, autant de plaisir que de timidité, le compliment les trouve humbles, c'est très sympathique. Je me demande s'ils ne sont pas déjà prêts à changer de nature, mais je n'en dis rien, ça me flatte de les laisser croire que je suis La Fée Bleue, que j'aurais le pouvoir de les transformer.
- Que s'est-il passé ?
- Regardez Fée Bleue, regardez, dit-il en sortant des photos de sa poche, c'est arrivé là-bas.
- Vous étiez en Provence?!
- Là où vous êtes, nous sommes, répondent-ils, surpris, comme si vous ne le saviez pas?
- Bien, sûr que je le sais, tout ce qui vit dans l'Appartement est partout avec moi, mais vous deux, j'avoue que je vous avais un peu oubliés.
- Ah! Tu vois, dit monsieur Amigu, je te l'avais dit, il faut qu'on soit des personnes pour être dans la tête des Vrais Gens.
- Pas du tout, répond Lapinochio, qui s'énerve tout de suite, et pas du tout et pas du tout, je te l'ai déjà dit, il y a des gens qui aiment leurs chiens plus que leurs enfants.
- Et co... co... et coco et comment je peux croire une cho... cho... une chose pareille!
Monsieur Amigu est hors de lui, manifestement, le sujet les agite depuis un moment.
Lapinochio ne lui répond pas et me tend cette photo de lui là-bas:
- Vous comprenez?
- Oui, Lapino, je comprends.
- C'est difficile de choisir un autre état après avoir découvert tout ce que je peux faire dans ma peau de Lapinochio. Je n'étais jamais sorti, je n'avais jamais senti le vent, le soleil, la terre mouillée. Et si tout ça disparaissait?
- Je crois que ça ne disparaitra pas, même s'il est certain que dans une autre peau, ça ne sera pas la même chose. Mais demain, l'année prochaine ou tout à l'heure, Lapinochio, ça ne sera pas non plus la même chose.
Ils se regardent alors tous les deux, si désolés, avec tant de compréhension mutuelle que je suis touchée de la détresse dans laquelle les plonge la difficulté de leur choix..
Monsieur Amigu, pensif, dit alors avec sa voix grave (mais d'où la sort-il?):
- Ce qui a été ne sera plus jamais.